Fête de la musique 2010 - « Les temps changent » (Watchmen)

Dans le cadre de la 29ème édition de la fête de la musique, Comic Screen revient sur l’utilisation de certains des plus grands standards ayant rythmé les films de super-héros…


Conformément à l’œuvre d’Alan Moore et de Dave Gibbons, la séquence d’ouverture de Watchmen, sorti en 2009, comporte de nombreuses références historiques, politiques, sociales et culturelles. Le réalisateur Zack Snyder, très inspiré, a choisi le mythique « The Times They are A-Changin’ » de Bob Dylan (1964) pour accompagner le préambule de l’intrigue.

The Times They Are A Changin’ (Les temps changent, en français) est extrait de l’album du même nom. Le titre exprime l’état d’esprit des années 1960 qui conduisit à la contestation de l’ordre établi. Il parvient ici à restituer le contexte qui imprègne le scénario issu du comic book édité par DC Comics à partir de 1986. Watchmen (initialement publié en France sous le titre Les Gardiens) dépeint à cet égard une Amérique alternative : Richard Nixon est toujours président, la guerre du Vietnam a été remportée, les justiciers masqués font partie du quotidien et la troisième Guerre mondiale menace d’éclater avec le bloc communiste.

La séquence d’ouverture :


Le commentaire de la séquence d’ouverture :

« Où que vous soyez, accourez braves gens ! L’eau commence à monter, soyez plus clairvoyants. Admettez que, bientôt, vous serez submergés. Et que si vous valez la peine d’être sauvés, il est temps maintenant d’apprendre à nager. Car le monde et les temps changent » (traduction du premier couplet de « The Times They Are A-Changin’ »).

Sous l’ère de la prohibition et, par suite, de l’augmentation de la criminalité, l’Amérique assiste à l’apparition sur son sol des premiers justiciers : Le Comédien, Le Spectre Soyeux I, Le Juge Masqué… La création des Minutemen en 1940 n’est pas sans rappeler la Justice Society Of America qui, dans l’univers des comics, représente le premier groupe organisé de super justiciers (The Flash, Hawkman…). Ce rassemblement inspirera la création d’équipes aussi célèbres que la Justice League (toujours chez DC Comics) et les Advengers (chez Marvel Comics). Dans l’histoire des Etats-Unis, Minutemen est par ailleurs le nom donné aux membres de la milice des treize colonies qui jurèrent en 1645 d’être prêts à combattre dans les deux minutes. Ce terme a depuis été employé pour désigner d’autres unités militaires des Etats-Unis, se référant au succès et au patriotisme des Minutemen d’origine.

« Et vous, les gens de lettres dont la plume est d’or, ouvrez tout grands vos yeux car il est temps encore. La roue de la fortune est en train de tourner. Et nul ne sait encore où elle va s’arrêter. Les perdants d’hier vont peut-être gagner. Car le monde et les temps changent » (traduction du deuxième couplet de « The Times They Are A-Changin’ »).

Les justiciers font désormais partie du quotidien. Un ordre nouveau s’est établi, à l’image de la notoriété et de la respectabilité de ces aventuriers d’un genre nouveau dans la société. Le logo du bombardier Memphis Belle est ainsi détourné au profit de l’effigie du Spectre Soyeux I et c’est ce B-17 - et non un B-52 - qui largue la bombe atomique sur le Japon. Comme pour cependant marquer la fin d’un cycle et le début d’une ère nouvelle, le banquet célébrant la retraite du Spectre Soyeux I, par ailleurs ancienne prostituée, parodie le dernier repas du Christ, la Cène, telle que reproduite par Léonard de Vinci pour le couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie. Contrairement à la tradition qui régnait jusqu’alors, la fresque ne représente pas Judas à l’écart ou de dos, mais de la même façon que ses compagnons : comme un homme qui pouvait choisir entre le bien et le mal et qui a choisi le mal. Le Comédien occupe ici la place de Judas ; ce qui ne surprend guère, pour un mercenaire qui, après l’aventure des Minute Men, loue ses services au gouvernement. La décadence d’autres héros costumés qui n’ont pas pu ou voulu s’adapter aux changements de leur époque n’est pas en reste : un justicier qui a pris pour emblème le dollar américain est abattu lors d’un braquage de banque, après que sa cape se soit coincée dans la porte (scène comparable à un passage long-métrage Les Indestructibles qui, sur de nombreux points, emprunte au comic book Watchmen) et un autre justicier, affublé d’un collant assorti des antennes et des ailes d’un insecte pour combattre le crime, est pour sa part interné.

« Vous, les pères et les mères de tous les pays, ne critiquez plus car vous n’avez pas compris. Vos enfants ne sont plus sous votre autorité. Sur vos routes anciennes, les pavés sont usés. Marchez sur les nouvelles ou bien restez cachés. Car le monde et les temps changent » (traduction du troisième couplet de « The Times They Are A-Changin’ »).

La plupart des premiers héros ont définitivement fait leur temps. Ils doivent se résoudre à s’effacer devant leurs héritiers (comme Le Spectre Soyeux II et Le Hibou II). Les nouveaux venus accèdent rapidement à la notoriété. Le Hibou II - et non Marilyn Monroe - est immortalisé dans les sérigraphies d’Andy Wahrol. Clin d’œil fait au « Pope of the Pop », intéressé par les comics (mais qui avait délaissé ce thème parce que le peintre Roy Lichtenstein se l’était déjà approprié comme outil visuel) et à son célèbre quart d’heure de célébrité (l’expression « 15 minutes of fame », inventée par Andy Wahrol, se réfère à l’état de célébrité fugace qui accorde de l’importance à un objet d’attention des médias, puis qui passe à un autre objet aussitôt que l’attention du public s’affaiblit). Dans ce contexte, comme les millions de téléspectateurs qui assistent en direct à l’événement, Neil Armstrong, censé être le premier homme à marcher sur la Lune, constate qu’il n’est pas seul à fouler la « mer de la Tranquillité » : le Dr Manhattan est présent (c’est un petit pas pour Manhattan, mais un pas de géant pour l’humanité). Ozymandias fréquente, quant à lui, la jet-set et les night clubs. On l’aperçoit en compagnie de David Bowie (l’interprète de « Heroes »), Ron Wood (guitariste de Rod Stewart puis des Rolling Stones) et des Village People (dont le mauvais goût pour les costumes et le cuir n’a rien à envier à de nombreux super héros). Un nouveau groupe de justiciers est officialisé, les Watchmen ! Seul un ex-Minutemen est encore là, le Comédien…

« Messieurs les députés, écoutez maintenant : n’encombrez plus le hall de propos dissonants. Si vous n’avancez pas, vous serez dépassés. Car les fenêtres craquent et les murs vont tomber. C’est la grande bataille qui va se livrer. Car le monde et les temps changent » (traduction du quatrième couplet de « The Times They Are A-Changin’ »).

Le président Kennedy et le Dr Manhattan, seul être doté de pouvoirs surhumains et arme de dissuasion dans le conflit de la guerre froide, échangent une poignée de main en public. Ce conflit d’envergure internationale n’en est pas moins source de fébrilité et d’incertitude. S’ensuit l’assassinat du président Kennedy qui, conformément au rapport établi par la Commission d’enquête Warren en 1964, conforte la thèse du deuxième tireur, en la personne… de ce mercenaire et barbouze de Comédien ! Et à qui profite le crime ? Ce qui est certain, c’est que Richard Nixon devient président… et sera même réélu à plusieurs reprises, faute de scandale du Watergate et parce que le XXIIème amendement de la Constitution américaine a été révisée (à titre de comparaison, Bill Clinton et George W. Bush ont été limités à deux mandats présidentiels). Il est vrai que l’on apprend par la suite que la guerre du Vietnam a été remportée avec l’appui du Comédien et surtout celui du Dr Manhattan.

« Et le sort et les dés maintenant sont jetés. Car le présent bientôt sera déjà passé. Un peu plus chaque jour, l’ordre est bouleversé. Ceux qui attendent encore vont bientôt arriver. Les premiers d’aujourd’hui, demain, seront les derniers. Car le monde et les temps changent » (traduction du quatrième couplet de « The Times They Are A-Changin’ »).

La séquence du film s’achève sur une foule particulièrement hostile envers les Watchmen, gardiens d’un ordre dépassé. La législation prohibe l’activité de justicier masqué (ce qui ne concerne pas Le Comédien et le Dr Manhattan qui officient pour le gouvernement Nixon). L’un des manifestants inscrit sur une vitrine le slogan « Who watches the Watchmen ? ». Dans le comic book, il s’agit d’un jeu de mots sur le double sens du mot watch qui en anglais signifie regarder, surveiller, mais désigne également une montre. En dehors de l’image du temps qui annonce la fin du monde, il faut y voir une référence à la locution latine « Quis custodiet ipsos custodes ? » (« Qui garde les gardiens eux-mêmes ? »), extraite d’une Satire du poète Juvénal, qui aurait vécu entre la fin du Ier siècle et le début du IIème siècle de notre ère. La légitimité des justiciers costumés à faire régner l’ordre est en effet remise en cause. Ce n’est sans doute pas non plus un hasard si le film présente un ultime plan panoramique reprenant l’inscription « Who watches the Watchmen ? ». Car qui regarde les Watchmen ?

Superboy

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