Comic Culture - Doc Savage, super héro en avance sur son temps (2ème partie)

Si Doc Savage demeure méconnu en France, le personnage n’en est pas moins une icône populaire de la culture américaine qui a influencé la création de nombreux super héros. Saviez-vous seulement que Superman et Batman lui ont ainsi largement emprunté ?

Les héritiers de Doc Savage...

Les aventures de « Doc Savage, L’homme de Bronze », ont été publiées aux Etats-Unis par les éditions Street & Smith à partir de 1933, sous forme de romans mensuels, dans des magazines « pulp », mais également, à partir de 1940, sous forme de comics. D’abord, dans les trois premiers numéros de The Shadow, autre « pulp hero » populaire édité chez Street & Smith, puis dans Doc Savage Comics. L’héritage laissé par l’homme de bronze dans le monde des comics dépasse cependant de très loin ces seules revues.


« L’âge d’or » des comics se situe entre les années 1930 et 1950. Des super héros plus ou moins calqués sur ceux des « pulp heroes » voient alors quotidiennement le jour. Et parmi eux, les archétypes iconiques que représentent, aujourd’hui encore, Superman et Batman. Ces deux super héros, publiés par l’éditeur DC Comics, empruntent de nombreux traits au personnage de Doc Savage et peuvent donc être considérés comme ses premiers héritiers.

En 1938, Jerry Siegel (scénario) et Joe Shuster (dessins) créent Superman en s’inspirant, sur plusieurs points, du personnage de Doc Savage. Outre leur droiture digne de celle du président des Etats-Unis Abraham Lincoln (référence que l’on retrouve chez Doc Savage dans les romans écrits, sous le pseudonyme Kenneth Robeson, par Lester Dent et dans certaines aventures de Superman), Doc Savage et Superman partagent le fait d’être des surhommes, d’une intelligence et d’une force incomparables. Les premières vignettes publicitaires consacrées aux romans de Doc Savage le présentent d’ailleurs, littéralement, comme « Superman » ! Jerry Siegel et Joe Shuster empruntent également à Doc Savage son prénom - qu’il tient, comme son physique, de l’acteur Clark Gable - et un autre de ses surnoms, « Man of Steel », ce surnom rappelant évidemment celui de « Man of Bronze ».



Enfin, Doc Savage et Superman occupent tous deux un appartement dans le gratte-ciel d’une métropole tout en disposant de leur « forteresse de la solitude » basée dans l’Arctique.






Créé en 1939 par Bob Kane (scénario) et Bill Finger (dessins), Batman entretient lui aussi de nombreuses similitudes avec Doc Savage.
Bien qu’étant un surhomme, Batman est un justicier qui ne possède aucun super pouvoir : « simplement » un esprit sain dans un corps sain. Batman et Doc Savage ont à cet égard en commun d’avoir soumis leur corps et leur esprit à un entraînement intensif, parfait au travers de voyages initiatiques à travers le monde.
Ils peuvent ainsi compter sur des talents de déduction comparables à ceux de Sherlock Holmes. Et pour mener à bien leurs enquêtes, les deux détectives fortunés recourent à une panoplie de gadgets et d’engins sortis tout droit de leurs brillants esprits scientifiques. Entre autres, Doc Savage utilise un « Savage Super-machine Pistol » et des autogyres et Batman des « Batarangs », une « Batmobile » et un « Batplane ».
Doc Savage et Batman partagent encore une part d’ombre, liée au décès de leurs proches (le père de Doc Savage et les deux parents de Batman furent lâchement assassinés). Leur soif de justice les conduit ainsi à adopter des méthodes discutables, notamment musclées, pour parvenir à leurs fins. Mais si Batman se contente de faire enfermer ses ennemis déjantés dans un asile (celui d’Arkham), Doc Savage n’hésite pas à pratiquer lui-même une « délicate opération cérébrale » sur certains criminels pour les « guérir » de leurs penchants déviants…



S’inspirant pour partie de Doc Savage, Superman et batman vont ainsi eux-mêmes servir de références à de nombreux auteurs durant l’âge d’or des comics, mais également après…

« L’âge d’argent » correspond à la période située entre la fin des années 1950 et le début des années 1970. Elle se caractérise essentiellement par une nouvelle façon d’appréhender la science-fiction, mais aussi par l’émergence de Marvel Comics. Considéré comme la « maison des idées » sous la direction éditoriale de Stan Lee, Marvel Comics réinvente le concept du super héro en se fondant sur le renouveau de la science-fiction de l’époque et sur l’héritage des « pulp héroes ». L’équipe des Fantastic Four est ainsi élaborée par le tandem Stan Lee (scénario) et Jack Kirby (dessins) sur le modèle de Doc Savage et de son Fabulous Five.

Stan Lee n’a jamais caché le fait qu’il puisait son inspiration pour ses créations dans ses lectures et, en particulier, dans la littérature populaire (Spiderman se déplace dans une jungle urbaine en se balançant d’un fil d’araignée à un autre, à la façon de Tarzan ; le docteur Banner se transforme en Hulk, de manière comparable à la métamorphose du docteur Jeckyll en mister Hyde…).
Et comme l’a explicitement reconnu Stan Lee, Doc Savage et l’équipe qui l’accompagne dans ses péripéties, le Fabulous Five, sont à l’origine de la création de nombreuses équipes de super héros dans l’industrie des comics, dont les fameux Fantastic Four…
Cette révélation est même par la suite devenue un argument marketing exploité par les éditeurs des romans de Doc Savage pour en promouvoir les ventes.

Comme Doc Savage et son Fabulous Five, les Fantastic Four n’ont pas d’identité secrète : ce sont des justiciers, mais aussi des explorateurs, parcourant sans cesse de nouveaux mondes et pouvant compter sur leur esprit d’équipe et leur complémentarité.
Le docteur Reed Richards rappelle Doc Savage : c’est le leader de l’équipe et un brillant scientifique dans de nombreux domaines, notamment en chimie, en physique et en ingénierie. Ben Grimm, alias La Chose, ressemble à Andrew Blodgett « Monk » Mayfair : tous deux sont bâtis comme des gorilles et n’hésitent pas à jouer de leurs poings quand la situation l’exige. Johnny Storm s’inspire de William Harper « Johnny » Littlejohn : au propre pour le premier, et au figuré pour le second, puisqu’en eux, « brûle une flamme »… Enfin, Susan Storm qui, une fois mariée, devient Susan Richards apporte comme Patricia « Pat » Savage, la cousine de Doc Savage, sa touche personnelle de féminité et de glamour : elle ne recule jamais devant le danger et refuse de recevoir le moindre traitement de faveur lié à sa condition féminine.




Et si les Fantastic Four ne possèdent pas de « forteresse de la solitude » dans l’Arctique comme Doc Savage, ils ont en commun avec lui de résider dans un gratte-ciel, le Baxter Building remplaçant l’Empire State Building. Sans doute semblait-il inopportun et juridiquement périlleux de doter les quatre super héros publiés chez Marvel Comics du même quartier général que celui de Superman, super héro phare du principal rival de Marvel Comics, DC Comics. Leur habitation et leur quartier général ne font donc ici qu’un.



L’influence de Doc Savage perdure indéniablement après l’âge d’or et l’âge d’argent…

« L’âge de bronze » débute dans les années 1970. Cette période est marquée par la disparition du Comic Code et de son carcan d’interdictions destinées à protéger la jeunesse. Des comics consacrés à Dracula et à Conan Le Barbare sont ainsi publiés. Le succès de ce dernier encourage Marvel Comics et DC Comics à éditer de nouvelles aventures de Doc Savage. Les comics deviennent bien plus réalistes et plus mâtures au cours de cette période, qui va se prolonger jusqu’à l’ère moderne, encore appelée « L’âge sombre ». Dans cet esprit, certaines œuvres considérées comme majeures voient le jour, en particulier les graphic novels « Batman : Year One » de Franck Miller en 1986 et « Watchmen » d’Alan Moore en 1987.



L’écrivain anglais Alan Moore, devenu célèbre pour avoir rendu les comics plus littéraires et adultes, n’hésite pas à multiplier dans ses œuvres les clins d’œil aux « pulps heroes », tel que Doc Savage. En témoignent « Tom Strong » dont les aventures sont publiées chez America’s Best Comics (depuis 1999) et Ozymandias, l’un des justiciers dans « Watchmen », publié chez DC Comics (en 1987) et qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma (en 2009).

Tom Strong peut être considéré comme un croisement entre Doc Savage et Flash Gordon.

De même que Doc Savage, les capacités intellectuelles et physiques prodigieuses de Tom Strong sont le fruit d’une expérience scientifique menée par ses parents. Son allure rappelle celle de Doc Strange (aucun rapport ici avec Docteur Strange, publié chez Marvel Comics) et son patronyme, celui de Doc Strong, deux héros de comics de l’âge d’or, qui semblent eux-mêmes avoir énormément emprunté, en leur temps, au personnage de Doc Savage…


De même encore que Doc Savage, Tom Strong est un aventurier et un justicier qui s’est installé dans un gratte-ciel (le Stronghold). Il est également épaulé par une équipe dont il est le leader. Dans ses aventures, Tom Strong est ainsi accompagné par sa femme Dhalua, sa fille Telsa, le gorille King Salomon et le robot Pneuman. Ces deux derniers forment un joyeux duo qui ne cesse de se chamailler gentiment, à la manière de Ben Grimm et de Johnny Storm chez les Fantastic Four… ou de Andrew Blodgett « Monk » Mayfair et de William Harper « Johnny » Littlejohn au sein du Fabulous Five…

Ozymandias peut quant à lui être considéré comme une version dévoyée de Doc Savage.

Dans l’univers des Watchmen, Ozymandias, alias Adrian Veidt, est réputé être l’homme le plus intelligent du monde. Il n’est doté d’aucun super pouvoir, mais est extrêmement brillant, excellent combattant et rapide au point qu’on le dit capable d’attraper une balle de pistolet. Fils d’immigré allemand, Adrian Veidt fut rapidement remarqué pour son génie (« mes résultats si parfaits provoquaient de tels soupçons que je veillais désormais à n’avoir que des résultats moyens »). Et à l’instar de Doc Savage, Adrian Veidt est un aventurier, puis un justicier qui n’a eu de cesse de développer ses capacités intellectuelles et physiques. Toutefois, si Adrian Veidt est lui aussi très fortuné, contrairement à Doc Savage, c’est un businessman qui exploite sa réputation de super héro et celle de ses anciens partenaires.



Les richesses qu’il a amassées lui permettent de vivre dans un gratte-ciel luxueux (la Veidt Tower) et dans une forteresse édifiée dans l’Arctique où il peut s’isoler, et qui est aussi son laboratoire le plus secret. Là encore, tout cela évoque le « Doc Savage way of life »…



Toutefois, si Doc Savage respecte à la lettre son propre code moral de l’honneur, Adrian Veidt est prêt à tout, y compris sacrifier des milliers de vies humaines pour parvenir à mettre fin à la course à l’armement nucléaire qui oppose le bloc des pays de l’ouest à celui des pays de l’est. Pour lui, la fin justifie les moyens. Et en définitive, peu importe les dommages collatéraux.
En ce sens, l’idéal de justice poursuivi par Doc Savage est à l’opposé de celui d’Adrian Veidt. Ce dernier, bien plus cynique, représente ce qui pourrait s’apparenter au « côté obscur » d’un justicier comme l’homme de bronze…

Loin d’avoir tiré sa révérence, Doc Savage est encore publié ponctuellement par des éditeurs de comics. C’est en particulier le cas ces dernières années chez Dark Horse et chez Millenium. Plus récemment, DC Comics a dédié un « cross over » à Doc Savage et Batman, associant l’homme de bronze aux premières années de la carrière menée par le dark knight. Désireux de surfer sur le succès rencontré au cinéma par des super héros, tels que Spiderman et Batman, Hollywood s’intéresse par ailleurs à nouveau à Doc Savage, ce qui pourrait, à terme, se traduire par la publication de nouvelles aventures sous forme de comics.


Doc Savage a ainsi influencé de nombreux comics et continue à le faire, poursuivant son odyssée chez les super héros à qui il a ouvert une voie royale.


Superboy

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